Maisons de quartier et centres de loisirs : attention, ça déménage

Maisons de quartier et centres de loisirs : attention, ça déménage - FCLR

Crédit Pixabay                                                   Lettre de la Fédération no 11 – juin 2018

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Ce mois-ci, Genève franchira la barre hautement symbolique des 500’000 habitants et pourrait atteindre celle des 600’000 à l’horizon 2030. Nouveaux quartiers, densification, mitage de la ville sur la campagne, qualité du cadre de vie pour les (nouveaux) résidents… Cette croissance exponentielle soulève de multiples débats et questions.

Acteurs de lien social, d’intégration et du pouvoir d’agir, les centres sont en première ligne. Car, pour accompagner ces évolutions urbaines de grande échelle, l’exercice de la citoyenneté et la participation du plus grand nombre aux décisions sont plus que jamais d’actualité. Mais ils sont aussi directement concernés. Carouge, Veyrier, Vernier, Grand-Lancy, Meyrin, Acacias, Le Lignon, ville de Genève… On ne compte plus le nombre de centres qui ont déménagé, se sont créés ou réinventés ces dernières années. Pas plus qu’on ne compte le nombre de ceux qui verront le jour ou vivront un changement de lieu prochainement. Grand angle sur un charivari de boîtes et de cartons à travers l’expérience de centres de loisirs et de rencontres.

Déménager, on le sait, pour une famille, c’est un énorme stress. C’est même la 2e cause de divorce. À l’échelle d’un centre de loisirs, c’est forcément un projet complexe, aux multiples facettes et potentiel générateur de tension. C’est pourquoi la question mobilise aussi bien la FASe que la FCLR qui proposent chacune des outils et des compétences pour accompagner les équipes d’animation et les comités des associations de centres concernés.

La participation, un préalable indispensable

Une nouvelle maison de quartier (MQ) ou un nouveau centre de loisirs s’insère le plus souvent dans un projet d’urbanisme plus global de nouveau quartier ou de quartier en développement.

C’est notamment le cas de la nouvelle MQ du Plateau inaugurée en septembre 2017 au cœur de la zone des Marbriers au Petit-Lancy, un quartier dont la population a considérablement augmenté ces dix dernières années, et qui est appelé à se développer encore. Pour Daniel Favre, le président du comité de la MQ cité dans un article en ligne de la FASe, « ce lieu d’animation aura un rôle très important à jouer dans le développement du quartier. Il permettra notamment de favoriser l’intégration entre nouveaux et nouvelles arrivant.e.s et habitant.e.s de la zone villa ».

C’était le cas aussi de la MQ de Carouge qui a suivi la dynamique urbaine avec le projet de densification du côté de la Tambourine. Jusqu’alors, le centre de loisirs déployait ses activités en sous-sol à Grosselin, un lieu inadapté à l’animation socioculturelle, avec une faible fréquentation. Les développements du quartier de la Tambourine ont permis d’identifier un espace pour une nouvelle maison de quartier, en accord avec la volonté du Conseil administratif de l’époque. Et ce sera le cas de la MQ des Acacias qui s’installera en 2021-2022 aux Vernets, un quartier qui comptera quelque 3’500 logements supplémentaires. Le défi est intéressant pour la MQ : participer à la création d’un nouveau quartier en intégrant les habitants qui sont déjà là.

Pour que le futur centre puisse pleinement jouer son rôle auprès des (nouveaux) habitants, un travail en amont doit être réalisé pour prendre en compte les besoins de la maison de quartier et les aspirations de ceux qui la feront vivre. Selon une brochure récemment éditée par la FASe[1] : « Il est nécessaire d’imaginer la construction ou la rénovation des espaces comme un processus impliquant différentes étapes préalables à la construction du bâtiment. Ces étapes pourraient paraître longues pour certains acteurs, mais le processus participatif est nécessaire pour mener à bien l’implantation optimale de la maison dans son quartier et sa population ». Pour ce faire, « une étroite collaboration avec les services social/jeunesse et techniques/urbanistes de la commune doit être instituée. L’adhésion de tous à ce processus participatif (…) devrait alors faciliter le respect des temporalités de chacun des partenaires ».

Dit autrement, « on doit rêver pour les habitants. La maison de quartier est un lieu de partage. Elle doit refléter le vivre-ensemble », insiste Nicole Cosseron, responsable de l’équipe d’animation de la MQ de Carouge, « La volonté politique que la maison de quartier soit partie prenante est primordiale ». L’équipe et le comité ont donc participé au projet dès le début de la démarche en 2005-2006, ils ont notamment pu visiter d’autres maisons de quartier avec des représentants de la commune et les architectes. Au moment de l’inauguration en 2009, Nicole Cosseron se souvient de la réaction d’un jeune « Oh, ben, ils se sont pas fichus de nous avec cette maison de quartier ! On peut être fiers ! ». Ainsi, le lieu est respecté, ainsi s’opère une réelle appropriation par les habitants et les usagers.

Même enthousiasme au quartier du Plateau. Selon l’article en ligne de la FASe, « La réalisation de cette demeure dotée de généreux espaces a impliqué les bénévoles et les professionnels de la MQ du Plateau dès le départ. ʺC’est fabuleux, on a été écoutés du début à la finʺ, se réjouit Daniel Favre, ancien conseiller municipal qui avait été appelé par les autorités lancéennes afin de créer l’association qui a lancé la MQ du Plateau ». L’équipe est partie à la découverte d’autres maisons de quartier pour identifier les aménagements dont elle aurait besoin, par exemple des salles adaptées aux différents publics, et ainsi guider les discussions.

L’expérience de la MQ Chausse-Coq, au cœur de la ville de Genève, offre un nouvel ingrédient à cette alchimie. Ici, le projet vient de la base, le collectif « Un manège pour tous » qui réunit depuis 2008 quatre structures autour du projet commun de réhabilitation de l’ancien manège à chevaux. Le projet vise à rassembler dans un même espace la MQ, la ludothèque, l’espace de vie enfantine de la Madeleine et les restaurants scolaires, pour y développer des synergies. Il permettra aussi à la MQ d’être plus accessible, notamment pour les personnes âgées ou à mobilité réduite et les poussettes. Le projet a abouti à une première décision d’octroi d’un crédit d’étude et à un concours d’architecture, « une étape importante dans laquelle le collectif a été impliqué », explique Carole Veuthey, présidente de la MQ Chausse-Coq. D’ailleurs avant même le lancement du concours, le collectif avait mandaté un professionnel pour formuler des propositions qui ont été prises en compte pour l’établissement du cahier des charges du concours. Tout récemment, le crédit de construction a été accepté. Une autre phase du projet va commencer prochainement…

Partenaires ?

Pour autant, même lorsque la volonté politique est là, la logique économique peut influencer les discussions. « Pour les chaises, un membre du comité a dû se battre pour qu’elles soient en couleur et non pas noires », se souvient Nicole Cosseron à Carouge. « C’est pourquoi il faut définir les points importants sur lesquels on n’est pas prêts à lâcher ». Mais il faut aussi veiller à reconnaître les compétences des architectes et des interlocuteurs communaux à l’urbanisme et au social, car la participation est un processus à double-sens.

Et puis, il y a les projets où la participation ne va pas de soi. On peut être invité à participer sans pour autant être entendu, une « participation symbolique » selon le niveau 3 de l’échelle d’Arnstein. Là, anticiper les besoins est donc loin d’être suffisant. Encore faut-il savoir à quel moment il sera possible de les exprimer et de se faire entendre. Plusieurs MQ regrettent de ne pas avoir (eu) connaissance du calendrier de planification ou de réalisation et d’avoir ainsi manqué des opportunités de donner leur point de vue avant que les décisions ne se prennent. Et regrettent ainsi de ne pas être considérées comme des partenaires.

Marion Nemchi est membre du comité de la MQ des Acacias. Elle suit de près le projet de déménagement de la MQ. L’horizon parait encore loin mais pour elle, l’investissement en temps depuis 4-5 ans pour la MQ est déjà conséquent. Or les résultats ne sont pour l’instant pas à la hauteur. « Nous sommes très impliqués dans le processus pour faire valoir nos valeurs du vivre-ensemble et nos besoins. Mais nous sommes très inquiets de ce qui va finalement émerger car nos demandes ne sont pas prises en compte par rapport au cahier des charges des architectes-paysagistes que nous avons contribué à rédiger. » Elle évoque notamment l’idée d’un espace polyvalent qui se rêvait volontairement « non-figé », mais aussi les locaux prévus pour la MQ qui seront finalement scindés en deux unités séparées. La MQ s’investit aussi beaucoup pour que les habitants puissent donner leur avis sur le choix du mobilier urbain. Pour cela, elle mobilise les anciens habitants qu’elle informe des démarches et continue de rendre attentifs les investisseurs et promoteurs sur la qualité du lien. « Ce serait bien si les usagers pouvaient avoir plus de poids dans les aménagements… », insiste Marion Nemchi qui rappelle que « au-delà de la maison de quartier, c’est tout le quartier qui est concerné. Car la maison de quartier est le lieu pour l’agir des habitants ». Pour mobiliser les nouveaux habitants, la MQ a tenté d’établir des contacts avec les coopératives d’habitations qui s’installeront dans le nouveau quartier. Sans suite pour l’instant.

Se préparer

Un déménagement s’accompagne souvent d’un changement d’échelle. L’équipe change, s’agrandit, de nouvelles activités se mettent en place. Au fond, c’est un nouveau projet de centre et une nouvelle dynamique qui doit s’installer. « On changeait de structure en même temps que de lieu », explique Nicole Cosseron de Carouge. « On ne pouvait pas faire un copié-collé avec ce que nous faisions à Grosselin. Par exemple, pendant les deux premières années, nous avons tâtonné avec les horaires pour nous adapter à la dynamique du quartier ».

Au printemps 2015, à Vernier, la Maison de quartier L’Alibi déménage dans un nouvel espace et devient la MQ du Quart’Île. Dans son rapport d’activité 2015, le centre explique la nécessité pour le comité et l’équipe de se faire accompagner : « Avec l’agrandissement de l’équipe et la nouvelle MQ, les professionnels et le comité ressentent le besoin de réfléchir sur leur fonctionnement. Au départ, l’équipe envisage une supervision axée sur l’aspect organisationnel. Suite à notre demande, le coordinateur région nous propose un accompagnement au changement plus adéquat à notre situation au mois de mai, quitte à faire une supervision une fois que l’équipe sera au complet. (…) [Des journées de réflexion] nous permettent de revisiter la répartition de nos tâches, de vérifier si le Projet institutionnel correspond toujours à nos valeurs, le tout dans une ambiance bienveillante et détendue ».

La supervision est aussi l’outil qu’a choisi la Maison de quartier Sous l’Etoile, avant même le déménagement en septembre 2017. « Nous avons une grosse équipe qui s’est en partie renouvelée et agrandie. Or, un déménagement bouscule beaucoup de choses », explique Marie-Louise Schneeberger, présidente, « On s’est dit qu’il fallait un accompagnement préventif. La supervision par une personne extérieure offre un espace neutre qui permet de se poser, d’exprimer les craintes et les frustrations, de désamorcer les tensions en amont ». La supervision s’est poursuivie pendant et après le déménagement. La MQ a également fait appel à la FCLR avant et pendant le déménagement : « cet accompagnement nous a été très utile pour mettre à plat les difficultés, à définir des stratégies pour les résoudre et à établir des priorités ».

À Chausse-Coq, le projet va entrer dans la phase de construction. Pour les structures initiatrices, cela va prochainement impliquer la mise en place d’une nouvelle gouvernance. La MQ qui assurera le pilotage et la gestion du bâtiment a déjà pris contact avec la FCLR pour un accompagnement.

Le facteur temps

« Elaboration d’un programme, participation au jury d’un concours d’architecture : la démarche a pris ʺbeaucoup de tempsʺ », admet le président du comité de la MQ du Plateau dans l’article en ligne de la FASe. L’investissement est important et la planification un enjeu majeur.

« Nous n’avons pas anticipé le temps que cela prendrait et nous avons maintenu le programme d’animations alors qu’il y avait toutes les séances et la préparation du déménagement en plus », analyse Marie-Louise Schneeberger. « On aurait dû faire moins d’animations, et même fermer le centre pendant le déménagement, pour que ce soit moins lourd pour l’équipe. Ou alors demander du temps de travail supplémentaire. » La leçon est claire : un déménagement, c’est un projet en plus qui requiert du temps.

Chausse-Coq a anticipé ce besoin de ressources et fait une demande à la fois de personnel supplémentaire et de formation spécifique (notamment en gestion de conflit).

En avant !

Au niveau technique, Nicole Cosseron relève la difficulté à faire un travail de prospective à 20 ans pour anticiper les besoins à venir. Typiquement, il manque la fibre optique… Et puis, dès son arrivée sur les hauteurs du parc Battelle, la MQ Carouge a dû « se battre » pour ne pas être perçue comme la MQ de la Tambourine mais bien celle de tous les habitants de Carouge. Pour cela, elle anime des activités décentralisées à l’Espace Grosselin et l’annexe des Moraines.

« Ce n’était pas simple au début. Mais on a avancé et le pari commence à prendre », se réjouit Marie-Louise Schneeberger de la MQ Sous l’Etoile. « Il y a quelques jours, nous avons organisé une grande fête au quartier. Il y avait beaucoup de monde, beaucoup d’enfants. Des gens qui descendaient du tram et qui voyant la fête, du coup, sont venus. Nous sommes au cœur du quartier, c’est pour ça que nous voulions devenir une maison de quartier ! ».

Du côté de Chausse-Coq, on se réjouit d’écrire la suite de l’histoire sans oublier les défis qui s’annoncent. Par exemple, il s’agit encore de trouver une solution pour conserver un local à musique dans le nouveau projet. Une fois installée, il s’agira de faire vivre le collectif et les espaces mutualisés, dont une grande salle, sans perdre son identité propre.

Pour la MQ des Acacias, le temps est encore long. Mais le comité et l’équipe comptent bien saisir l’opportunité du chantier pour imaginer des animations et commencer à construire du lien avec les habitants qui sont déjà là…

Au fond, un déménagement, c’est un peu comme une mayonnaise. Il faut beaucoup d’énergie pour que les ingrédients se mélangent et que la sauce prenne. Entre nostalgie du passé et attrait de la nouveauté, à la fin, il faut peut-être simplement se faire confiance, faire confiance aux habitants, et s’ouvrir humblement à la nouveauté des visages et des lieux. Tout en étant vigilant à être entendu pour que le projet final colle au plus près des besoins et des attentes du quartier.

Des ressources pour agir

  • Constitution d’une association pour la création d’un centre de loisirs et de rencontres (support à l’organisation de séance public en vue de la création d’un nouveau centre)

    Constitution D’une Association Pour La Création D’un Centre De Loisirs Et De Rencontres Sur Votre Territoire

  • Conditions Cadre pour la Construction ou la Rénovation de Centres d’Animation. Juillet 2017

    Conditions cadre pour la construction ou la rénovation de centres d’animation (brochure FASe)

[1] FASe. Conditions Cadre pour la Construction ou la Rénovation de Centres d’Animation. Juillet 2017.

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